Émile Zola
THÉRÈSE RAQUIN (II)
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“La Morgue est un spectacle à la portée de toutes les bourses, que se paient gratuitement les passants pauvres ou riches. La porte est ouverte, entre qui veut. Il y a des amateurs qui font un détour pour ne pas manquer une de ces représentations de la mort. Lorsque les dalles sont nues, les gens sortent désappointés, volés, murmurant entre leurs dents. Lorsque les dalles sont bien garnies, lorsqu’il y a un bel étalage de chair humaine, les visiteurs se pressent, se donnent des émotions à bon marché, s’épouvantent, plaisantent, applaudissent ou sifflent, comme au théâtre, et se retirent satisfaits, en déclarant que la Morgue est réussie, ce jour-là.
Laurent connut vite le public de l’endroit, public mêlé et disparate qui s’apitoyait et ricanait en commun. Des ouvriers entraient, en allant à leur ouvrage, avec un pain et des outils sous le bras ; ils trouvaient la mort drôle. Parmi eux se rencontraient des loustics d’atelier qui faisaient sourire la galerie en disant un mot plaisant sur la grimace de chaque cadavre ; ils appelaient les incendiés des charbonniers ; les pendus, les assassinés, les noyés, les cadavres troués ou broyés excitaient leur verve goguenarde, et leur voix, qui tremblait un peu, balbutiait des phrases comiques dans le silence frissonnant de la salle. (…)
Par moments, arrivaient des bandes de gamins, des enfants de douze à quinze ans, qui couraient le long du vitrage, ne s’arrêtant que devant les cadavres de femmes. Ils appuyaient leurs mains aux vitres et promenaient des regards effrontés sur les poitrines nues. Ils se poussaient du coude, ils faisaient des remarques brutales, ils apprenaient le vice à l’école de la mort. C’est à la Morgue que les jeunes voyous ont leur première maîtresse.” (pp. 158-160)
“La Morgue es un espectáculo al alcance de todos los bolsillos que se regalan los transeúntes pobres y ricos. La puerta está abierta; entra quien quiere. Existen aficionados que dan un rodeo para no perderse ninguna de esas representaciones de la muerte. Cuando las mesas están vacías, la gente se va, decepcionada, estafada, murmurando entre dientes. Cuando hay un buen escaparate de carne humana, los visitantes se apiñan, gozan de emociones baratas, se espantan, bromean, aplauden o silban, como en el teatro, y se marchan contentos, diciendo que, ese día, la Morgue ha sido todo un éxito.
Laurent conoció enseguida al público de aquel lugar, un público diverso y variopinto que se compadecía y se burlaba en comandita. Entraban obreros de camino al trabajo, llevando bajo el brazo un pan y las herramientas de su oficio; la muerte les hacía gracia. Entre ellos había chistosos de taller que hacían sonreír a la galería con sus ocurrencias acerca de la mueca de cada cadáver: llamaban carboneros a quienes habían muerto en un incendio; los ahorcados, los asesinados, los ahogados, los cadáveres agujereados o triturados estimulaban su verbo socarrón, y sus voces, un tanto temblonas, balbuceaban frases cómicas en el estremecedor silencio de la sala.
(…)
A veces entraban pandas de chiquillos, críos entre doce y quince años, que corrían a lo largo de la cristalera y que sólo se detenían ante los cadáveres de mujeres. Apoyaban las manos en el cristal y paseaban miradas descaradas sobre sus pechos desnudos. Se daban codazos, hacían comentarios brutales, aprendían el vicio en la escuela de la muerte. Los jóvenes gamberros tenían su primera amante en la Morgue.”
[La traducción es mía.]
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